La Sainte Famille ou les souvenirs aigre-doux de deux enfants

On a tous connu cela : des souvenirs lointains qui nous rappellent à la fois une douceur (exagérée ?) de vivre et de la violence, des terreurs et du coton qui nous enveloppe, l’enfance qui s’éloigne peu à peu mais certaines images restent collées à jamais dans notre esprit.

Pour Suzanne, et Thomas son frère, les souvenirs surgissent par bride, par événement, par sensation, par personnage et tout se mélange. Les gentils, les moins gentils mais qu’on aime, les pervers qu’on ne comprend pas, les cris, les soupirs, les absences. Et cette séparation douloureuse d’un frère et d’une sœur à cause du divorce de leurs parents. L’un va d’un côté, et l’autre ailleurs.

Suzanne et Thomas passent chaque été dans une maison aux portes closes.
Derrière l’une de ces portes, leur arrière-grand-mère agonise. Parmi les adultes qui les entourent, une mère follement autoritaire, un oncle veule et un maître d’école pervers dessinent les figures d’une inquiétante toute-puissance. Seule Odette, qui est presque une simple d’esprit, se préoccupe des enfants. Et puis il y a Mathilde, la cousine tyrannique, qui ment tout le temps et, pourtant, dit la vérité.

Suzanne se souvient d’une période où il y avait de la gaieté dans la maison. Il était difficile de savoir si leurs parents se trouvaient soudain heureux ensemble ou si leur joie à chacun venait d’ailleurs, mais ils étaient légers en présence de l’un de l’autre. C’était particulièrement perceptible pendant les trajets en voiture. Pour Suzanne, les trajets en voiture étaient la vie même, la vie à échelle réduite, mais infiniment précise et déployée. Le passé derrière, l’inconnu devant.

Ce livre est daté, à une époque où les jeux électroniques n’existaient pas encore, où on avait le temps de s’ennuyer, de courir, de regarder par la fenêtre mais où les cris et les coups pleuvaient plus facilement que maintenant.

Un livre tout en douceur et en violence qui se découpe en chapitres, chacun reprenant les souvenirs un peu comme dans une revisite de son enfance.

Il y a longtemps, quand je savais la maison vide, il m’arrivait de téléphoner là-bas. (Jamais je ne l’aurais fait si j’avais pensé qu’il y eût quelqu’un.) J’écoutais la sonnerie dans le combiné, puis, en fermant les yeux, je l’entendais retentir dans le petit bureau. Elle faisait résonner la table comme le vrombissement d’un très gros insecte. Je voyais le téléphone, la table, et l’étroite fenêtre ombragée par les branches du cèdre. J’étais soudain dans cette petite pièce sombre, je retrouvais les photos au mur, celles de mon grand-père, que je n’avais pas connu. Je revoyais le grand placard en fer. Je sentais la fraîcheur de la pièce. Puis, m’accrochant à la sonnerie comme à un fil qu’il ne fallait surtout pas lâcher, je quittais le petit bureau et traversais le couloir. Je visitais les pièces du rez-de chaussée. La sonnerie du téléphone était le sésame qui me permettait de retrouver la maison, comme Peter Ibbetson retrouve celle qu’il aime dans ses rêves. Et je pouvais presque prendre possession de ces lieux, où je m’étais toujours sentie une étrangère mais qui m’habitaient, pourtant, comme une hantise, comme une personne. Je montais l’escalier et j’entrais dans la chambre de ma grand-mère, lumineuse, arrangée avec soin. Celle de ma grand-tante, spartiate et meublée de formica. Je regardais les mouches mortes au pied des fenêtres.

Et puis on se retrouve plus tard. La maman a vieilli, les enfants aussi, les cicatrices se sont refermées. Ou presque. Certains souvenirs remontent à la surface sans qu’on s’en aperçoive.

Avec force, mais aussi avec douceur, Florence Seyvos nous entraîne à sa suite dans ce monde, celui des enfants de Henry James et de Flannery O’Connor.

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