Un don ou l’épopée lyrique du Nouveau Monde

Situé deux cent ans avant mais dans la même prose lyrique et poétique qui avait animé « Beloved », Tony Morrison nous raconte l’histoire du nouveau monde, entre volontaires et esclaves, entre chaleur et nature luxuriante.

Ce monde colonial brutal et décousu est exposé avec force au travers de personnages tous différents, fragiles mais très forts à la fois, touchés par la maladie mais plein de la grâce et de la force des aventuriers. Qui oserait s’établir dans ce monde inhumain et féroce, où chaque kilomètre avalé est une victoire et chaque contact humain une interrogation. Esclave ? Maître ? Sous-fifre, supérieur ?

Un don raconte l’histoire d’une famille qui s’est construite autour de Jacob Vaark, un hollandais qui a hérité de de 120 acres en Virginie sur lesquels il a construit une ferme. Son épouse, trouvée par annonce, vient de Londres. Trop contente d’échapper à un sort misérable, elle n’a pas peur de la vie de dur labeur qui attend les colons. Les autres femmes du foyer sont Linda une esclave amérindienne achetée par Jacob à des presbytériens qui la maltraitaient, Sorrow donnée contre bon soins par les bûcherons qui l’ont trouvée dans l’eau et Florens la fille d’une esclave noire qui lui a été cédée en remboursement d’une dette. Tous sont seuls au monde et forment une famille recomposée.

Des bébés qu’on enterre trop vite, des maladies violentes et mal soignées, de la boue, de la boue, dans la forêt. Et cette distance…

…Sir et Mistress croyaient qu’ils pouvaient mener une vie honnête de libres-penseurs, et pourtant, sans héritiers, tout leur travail ne valait guère plus qu’un nid de moineau. Leur isolement progressif des autres avait produit une intimité égoïste et ils avaient perdu le refuge et la consolation que peut procurer un clan. Baptistes, presbytériens, tribu, armée, famille, il fallait bien quelque chose pour faire un cercle et protéger de l’extérieur. La fierté, se disait-elle. Seule la fierté leur avait fait penser qu’ils n’avaient besoin que d’eux-mêmes, qu’ils pouvaient modeler ainsi la vie, comme Adam et Eve, comme des dieux venus de nulle part et uniquement redevables à leurs propres créations. Elle aurait dû les prévenir, mais sa dévotion la mettait en garde contre une telle impertinence. Tant que Sir était en vie, il était facile de voiler la vérité : ils ne formaient pas une famille – même pas un groupe de gens pensant de la même façon. Ils étaient des orphelins, tous autant qu’ils étaient.

Ce n’est pas un livre sur l’esclavage mais un livre sur la liberté, la survie, et l’entraide même si toutes les barrières sociales ne sont pas absentes. Toutefois, blancs, sang-mélés et afro-américains se côtoient et vivent ensemble sans la dure barrière sociale du XIXème siècle. Parmi les personnages notables, retenons les libre-penseur Sir et Mistress, mais aussi Lina, Sorrow, Twin, Florens, le forgeron qui est un peu médecin.

…La pluie elle-même devint une chose tout à fait nouvelle : de l’eau propre sans aucune trace de suie qui tombe du ciel. Elle joignait les mains sous son menton et contemplait des arbres plus hauts qu’une cathédrale, du bois de chauffage si abondant que cela faisait rire, puis pleurer. Elle n’avait jamais vu des oiseaux pareils, ni bu de l’eau fraîche coulant sur des pierres blanches visibles.

Toni Morrison, née le 18 février 1931 à Lorain en Ohio, est une romancière, professeur de littérature et éditrice américaine, lauréate du Prix Pulitzer en 1988, et du prix Nobel de littérature en 1993. Elle signe là un livre extraordinaire à la Voix plus puissante que jamais.

©copyright croqueusedelivres.fr 2016

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