Un Hymne à la vie… de famille

« La cache » de Christian Boltanski

Notre club de lecture les Croqueuses de livres s’est retrouvé au restaurant l’Art des Mets à Béthune ce vendredi 17 novembre pour un délicieux repas et une discussion passionnante sur le Livre de Christophe Boltanski.

Présentons tout d’abord le restaurant. L’Art des Mets nous a ravi avec de délicieux plats de saison faits maison. Consommé de potimarron aux Coquilles St Jacques puis filet de flétan sur une poêlée de champignons et un lit d’écrasé de pommes de terre. Un régal !

Revenons au livre du mois : « La Cache » qui a en effet plu aux unes et déplu aux autres. Un sentiment partagé qui est dû notamment à la construction très particulière du livre. En effet, chaque chapitre est relaté dans une des pièces de la maison familiale parisienne. La première de ces pièces étant la voiture des grand-parents dans laquelle enfants comme adultes pouvaient y passer pas mal de temps à attendre. Le grand-père étant médecin, il lui fallait toujours se déplacer.  Cette construction du roman a donné à certaines une sensation de claustrophobie, « on étouffe dans cette histoire ! »

©copyright croqueusedelivres.fr 2017

C’est une famille soudée, une famille qui vit ensemble ses peurs, ses joies, ses phobies, ses lubies.

« Nous constituions un curieux attelage, avec nos silhouettes petites, noiraudes, maigres, hormis mon grand-père, plus volumineux, et avec notre démarche de tortue, nos airs graves, presque aux aguets. »

Tous ces personnages vont et viennent dans cette grande maison et l’on sent chez Chirstophe Boltanski l’envie de replonger dans son enfance, dans cette mélancolie des choses vues mais pas comprises, où tout pouvait faire peur tout en réconfortant. C’est la Guerre, ce sont les nazis, les étoiles jaunes, la peur, mais aussi la musique, les querelles familiales, les incompréhensions. Et aussi le récit d’une époque, C. Boltanski replonge dans ses souvenirs, passant sans arrêt d’un personnage à l’autre, d’une anecdote à l’autre.

Une tribu incroyable avec à sa tête une femme forte et sans jambes : la grand-mère !

« Nous avions peur. De tout, de rien, des autres, de nous-mêmes. De la petite comme de la grande histoire. Des honnêtes gens qui, selon les circonstances, peuvent se muer en criminels. De la réversibilité des hommes et de la vie. Du pire, car il est toujours sûr. Cette appréhension, ma famille me l’a transmise très tôt, presque à la naissance. »

C’est aussi un récit sur l’héritage de la peur, de l’histoire. Toute cette famille doit se cacher pendant la guerre pour échapper aux allemands. Comment cette peur survit malgré les années qui passent ? Et les jugements hâtifs, les habitudes comportementales ?

« Et la nièce mariée à un vicomte qui, à la table, Rue-de-Grenelle, lance entre deux plats : « J’ai vu un type dans le métro. Il me regardait. Il avait une sale tête de Juif. Oh, pardon, mon oncle ! » Là, je prends des libertés avec la chronologie. Ses propos racistes ont été tenus après la guerre. Après la Shoah. Avant, elle ne se serait vraisemblablement pas excusée. Tout cela est formulé avec beaucoup de naturel, sans volonté de nuire, sans malice particulière. »

Un des moments forts du livre est le descriptif de la vie de médecin de la grande guerre, le grand-père en l’occurrence :

« Le poilu assurait-elle, allait guérir de lui-même. Elle s’aperçut tardivement que les trois quarts des plaies étaient causées par des éclats d’obus qui, mêlés à la boue, l’eau putride et le tissu sale des vareuses, provoquaient des infections immédiates.
[…] Le Journal des marches et des opérations, tenu dans chaque unité et accessible depuis peu sur Internet, ne décrit pas les êtres d’épouvante qui affluent à l’infirmerie, avec leurs visages terreux, leurs intestins à l’air, leurs moignons sanglants, leurs demi-fesses, le larynx arraché, comme si on les avait égorgés, encore capable d’émettre des sons, malgré leurs crânes ouverts qui découvrent les méandres d’un cerveau écarlate. Il ne détaille pas d’avantage les conditions de travail à l’intérieur de l’abri : les blessés qui s’agrippent à la blouse et supplient d’être soignés en premier, les relents de vomi, d’éther et de crasse chaude, la lampe à acétylène qui s’éteint à chaque fois qu’une « marmite » tombe à proximité, le sol gorgé d’eau et de sang, les doigts boueux tâtonnant dans l’obscurité pour trouver la plaie et la badigeonner de teinture d’iode, les dépouilles gonflées et couvertes de mouches entassées à l’extérieur, le martelage sourd, toutes les demi-secondes, qui vous jette à terre et risque de transformer la galerie en tombeau. Rien sur les coups de sifflet, les « En avant ! » hurlés par des officiers, la course éperdue derrière la vague d’assaut, les tac-tac des mitrailleuses, les cris, les explosions, les corps impossibles à soulever tellement ils sont lourds, la civière qui tangue dans la vase, les brancardiers mourant les uns après les autres, dont on ne retrouve qu’une gadoue rouge comme le meilleur ami de mon grand-père […]. »

©copyright croqueusedelivres.fr 2017

Conclusion de l’enfant Christophe : p.272 de l’édition Folio

« Je n’ai jamais été aussi libre et heureux que dans cette maison. J’aimerais pouvoir la décrire avec la précision d’un entomologiste détaillant la vie d’une fourmilière, galerie après galerie, ce faisant, je passerais à côté de tout ce qui ne se voit pas à la loupe : l’incroyable appétit de vivre, les moments d’ivresse, d’euphorie même… » Un hymne à la vie !

Christophe Boltanski
ISBN : 2070468712
Éditeur : GALLIMARD (12/01/2017)
Prix Femina – 2015
Prix littéraires Les Lauriers Verts – Rentrée – 2015
L’Art des mets Restaurant
 726 Boulevard Raymond Poincaré, 62400 Béthune

 

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